Mensonges, vérités

Automne 1996

Rien de plus condamné, rien de plus quotidiennement justifié que le mensonge. C’est le mal absolu, parce que le mensonge ruine toute possibilité de promesse, la condition fondamentale de tout contrat entre les hommes, la source même du droit. Mais aussi, le mensonge console des blessures de la vérité, dissimule l’effrayant de la vie, embellit l’indigence, rend possible la coexistence humaine – ce n’est plus alors un mal absolu, mais un mal nécessaire, et donc un bien relatif. Le mensonge semble détruire sur le plan du droit ce qu’il rend possible sur le plan du fait : la socialité et la paix. D’où des siècles de casuistiques élaborées entre la condamnation morale du mensonge et sa justification politique, entre rigorisme et pragmatisme ; d’où aussi la double figure classique du menteur en Janus : d’un côté, le mensonge comme péché originel et le menteur comme monstre et traître, Ève et Judas, Clytemnestre et Iago ; de l’autre, le mensonge comme « pieux mensonge », le prince machiavélien et le diplomate, l’humaniste et l’artiste, Ulysse et Jocaste, le démocratisme des sophistes et les saintes trahisons d’un Lawrence d’Arabie. Le problème est que cette double figure ne permet pas de comprendre le mensonge en dehors du conflit entre véracité et intérêt que présuppose chacune de ces deux faces : pour le moraliste il faut savoir dire la vérité malgré son intérêt comme pour le pieux menteur il faut savoir mentir malgré son amour de la vérité. […]

 

Revue l’inactuel, n° 6, Calmann-Lévy
Parution : 01-11-1996


Sommaire

Présentation

Le menteur, l’escroc et la puissance du faux
Pierre Zaoui

Pseudo
Marie Moscovici

La Vera Storia
Jean-Louis Baudry

Le concept d’anachronisme et la vérité de l’historien
Jacques Rancière

L’arbre aux racines de mensonge. Variations indiennes sur le vrai et le faux
Charles Malamoud

Les artifices de la vérité. Note sur l’interprétation médiévale du droit romain
Yann Thomas

Ignace de Loyola a-t-il vraiment brûlé le Journal [de ses] motions intérieures ?
Pierre-Antoine Fabre

L’image-matrice. Généalogie et vérité de la ressemblance selon Pline l’Ancien
Georges Didi-Huberman

La réalité tangible du simulacre. Vinci et la physique lucrétienne
Éric Leclerc

Les leurres biologiques
Hervé W. Fridman

La trente-septième décimale
Didier Nordon

Vous avez dit ficta ? (musica ficta)
Alain de Chambure

À vrai dire
Patrick Lacoste

Lady Simulation
Daniel Oster

Lectures

Catherine Darbo-Peschanski – Les Grecs, les historiens, soi. Opérations imaginaires autour de l’origine