
Quand une civilisation se décompose, il est fâcheusement approximatif de se contenter d’énoncer qu’elle retourne à la barbarie. Elle fait autre chose. Elle instaure une organisation sociale nouvelle, un peu à la manière des enfants livrés à eux-mêmes dans le roman de Golding, Sa Majesté des Mouches. La régression ne désigne pas seulement un retour en arrière, un stade antérieur de l’évolution. Chez le sujet, ce qu’elle produit, c’est toute l’histoire d’une maladie. Qu’en est-il de la régression collective ?
La civilisation s’est construite grâce au refoulement des pulsions sexuelles et meurtrières. Dans des situations de régressions culturelles – dans ce que le siècle passé, et toujours présent, est convenu d’appeler « retour à la barbarie » –, on admettait que le refoulement civilisateur ayant échoué, le pulsionnel tendait à régner sans contrôle, l’homme était revenu à l’état animal. Mais n’a-t-on pas assisté, en deçà, à une régression d’une autre nature, un état de confusion entre le sujet et la masse ? Cette confusion – que le psychanalyste appellera « narcissique » – ne débouche pas sur une préhistoire de l’humanité, terrifiante mais pleine de vie, mais bien sur une post-histoire, un état nouveau de la civilisation où, en se résorbant dans la masse, c’est la mort et ses idoles que l’homme révère et célèbre. Cette révérence, cette célébration, c’est le mal absolu.
Sans concession à la facilité, la psychanalyste Nathalie Zaltzman donne ici une étude intense, aussi personnelle qu’elle est documentée, du « travail de culture » et de ses obscurités. Dans un essai où les questions sont de véritables outils de pensée – deux chapitres sont intitulés « Perplexités » –, elle fait voir de façon radicalement différente ce qu’on appelle « crime contre l’humanité ».
Auteur : Nathalie Zaltzman
Collection penser/rêver, l’Olivier.
Parution : 11 octobre 2007