L’effet injure

De la pragmatique à la psychanalyse

Peut-être fallait-il que la « pragmatique », issue d’un autre horizon conceptuel s’intéressât à ce qu’on « fait » lorsqu’on « dit », pour que les chercheurs reconnaissent que la psychanalyse, en prenant pour objet les « genres », ne se hasardait pas hors de sa terre d’origine. Freud en effet, avec Le trait d’esprit et son rapport à l’inconscient, avait inauguré l’analyse de ce qu’on peut désigner comme un mode particulier des effets de communication.
La  présente étude, sur l’injure et le juron, renoue directement avec cette inspiration. Se centrer sur « l’effet injure », c’est d’abord prendre pour critère la situation, et la décrire selon des articulations et variantes « naturelles ». La fermeté des distinctions conceptuelles, qui font l’armature de ce livre, mérite d’être commentée. Pour celui qui en a suivi pas à pas l’élaboration, il s’agit de rien moins que de catégories a priori : c’est au contact de l’objet, de ses nuances, de ses variantes, de ses cas typiques – mais aussi, aberrants –, que se sont remaniées, bouleversées, puis affinées les grilles et les distinctions typologiques.
Au moyen d’exemples concrets, peu nombreux, pertinemment choisis, finement analysés, se dessine la grande tripartition de départ : injure référentielle, injure interpellative et juron. Les positions des protagonistes y prennent naturellement leur place : injurieur, injurié, injuriaire et témoin.
C’est en un second temps que va se dégager la notion de « spécificité », pivot de toute l’interprétation analytique de l’injure. À un premier niveau, il s’agit de porter juste eu égard à un réseau de significations conscientes ; au second plan, « l’injure blesse parce qu’elle porte juste mais en un autre point que le point conscient de l’argument ». Enfin, plus profondément encore, on peut dire que l’injure porte juste parce qu’elle blesse, obscurément mais de façon imparable. Entre spécificité et non-spécificité c’est donc une relation de complémentarité qui serait pertinente, une « série complémentaire » pour parler comme Freud.
À la limite, comme le montre l’injure raciste, le « négatif », dans certaines situations, prend valeur « spécifique » de par le simple fait qu’il est négatif. L’injure « colle à la peau » du seul moment qu’elle est proférée, lancée tel un véritable projectile. Que les mots soient aussi des choses, des objets, bons ou plus souvent mauvais, expulsés par la bouche, cette constatation psychanalytique trouve ici son éclatante illustration. Un affrontement de la pulsion de mort et de la pulsion de vie, c’est finalement sur cette perspective métapsychologique que débouche une étude dont la vérité se mesure au détail des descriptions, à la pertinence de l’appareil conceptuel et à l’assurance de la démarche.

Auteur : Évelyne Largueche

Collection Voix nouvelles en psychanalyse
Parution : 10-1983